A l’assemblée

Éleveurs : Lettre ouverte sur les conséquences de potentiels arbitrages dans le cadre de la réforme de la PAC

Publié le 27 avril 2021
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« Nous prenons la plume aujourd’hui pour faire part de notre profonde inquiétude quant aux conséquences désastreuses que pourraient avoir les arbitrages en cours de la prochaine Politique Agricole Commune (PAC) sur nos éleveurs, et ce faisant sur notre France rurale, son économie, sa démographie, ses paysages. » Loïc Kervran, député du Cher et Jean-Bernard Sempastous, député des Hautes-Pyrénées.

Une vision erronée et stigmatisante du métier

Depuis quelques semaines s’est développée une vision erronée et stigmatisante du métier de l’éleveur de bovins allaitants naisseur qui viendrait justifier que l’élevage français serve de variable d’ajustement et de source de financement des autres dispositifs de la PAC.
  • Stigmatisante parce que, alors que notre pays avait jusque-là porté une vision équilibrée du modèle agricole français qui revendiquait la fierté d’exporter, il le reproche soudainement à cette profession qui exporte ses « broutards », notamment vers l’Italie. Mais demande-t-on aux céréaliers d’arrêter d’exporter quand les prix mondiaux du blé sont mauvais pour faire de la farine en France ? Stigmatisante aussi parce qu’elle est uniquement présentée sous l’angle de la question du transport des animaux vers l’étranger et passe sous silence le fait que c’est ce modèle d’élevage herbager naisseur qui est sans doute le plus performant sur le plan du bien-être animal. Et qui produit de magnifiques paysages, préserve les haies et la biodiversité via le pâturage.
  • Erronée parce qu’elle véhicule l’idée que les éleveurs français produiraient trop de veaux pour un marché notamment italien en baisse, alors même qu’il est en croissance et en forte demande des animaux français en raison de leur excellente génétique et de la durabilité de notre modèle d’élevage. En posant la question de la dépendance dans un seul sens, on s’interdit d’autres questions prioritaires sur la structuration de la filière qui pourrait faire de la dépendance des Italiens aux broutards français (qui représentent plus de 80% des animaux qu’ils achètent) une force.

Ce travail de la filière doit bien entendu également investir sur le développement d’autres marchés à l’export mais l’on ne comprend pas en quoi la baisse de la production de broutards va diminuer la dépendance au marché italien… ni en quoi elle permettra aux engraisseurs français, entièrement dépendants des élevages naisseurs, de mieux vivre ! En effet, quelle logique économique y aurait-il à se priver du marché export et à amener, par la PAC, toujours plus d’engraissement de « Jeunes Bovins » sur nos territoires, quand les éleveurs dits « engraisseurs » ne parviennent pas, aujourd’hui, à trouver de débouchés rémunérateurs pour leurs animaux déjà produits en France ?

Tout ceci ne serait pas si grave si les éleveurs de bovins de race à viande, comme beaucoup d’autres activités agricoles, n’étaient pas dans une situation extrêmement fragile et dépendante des aides PAC : leur revenu annuel moyen en 2020 était de 8 000 euros, soit l’équivalent de la moyenne par exploitation de l’Aide couplée aux Bovins Allaitants la même année (8 500 euros). Réduire ces aides, c’est donc prendre la décision volontaire et assumée de faire mettre la clef sous la porte à bon nombre d’élevages.

Il serait faux de dire que tous les naisseurs d’aujourd’hui deviendront demain naisseurs-engraisseurs. La bascule vers l’engraissement ne va pas de soi et signifiera nécessairement une forte réduction du nombre d’éleveurs car les débouchés sont faibles (ce sont par exemple 800 000 animaux qui sont exportés chaque année vers l’Italie), l’engraissement nécessite d’autres infrastructures et dans de nombreuses régions l’achat de protéines végétales, requiert une solidité financière bien plus élevée en termes de trésorerie puisque les animaux sont vendus plus tard et qu’ils coûtent sur toute la période d’engraissement. Et les naisseurs-engraisseurs d’aujourd’hui pourraient être également pénalisés par l’aide couplée à l’UGB telle qu’elle est aujourd’hui imaginée dans le futur Plan National Stratégique de la PAC.

Cette réduction du nombre d’éleveurs c’est la fin d’un modèle français

  1. D’abord celui d’un élevage raisonné, façonné par des petites fermes (50 vaches pour 50 hectares) faisant travailler en nombre femmes et hommes.  Il n’est pas certain que la société française souhaite les remplacer par des ateliers d’engraissement collectifs, sur le modèle de la ferme des mille veaux dans la Creuse, d’ailleurs en grandes difficultés économiques. Et ce, même si de tels regroupements pourraient présenter des avantages en termes d’organisation, pour les éleveurs.
  2. Ensuite celui d’un paysage, façonné dans nos montagnes par l’estive, dans nos campagnes par les haies des prés. Avec la fin des aides aux veaux, nous irons vers des ateliers-usines d’engraissement avec des engraisseurs qui, comble de l’absurde, devront acheter des veaux à l’étranger.
  3. Enfin celui d’un pays équilibré dont les territoires ruraux ne sont pas des déserts démographiques. Que deviendront l’Aveyron, le Cantal, le sud du Cher, les Pyrénées sans les enfants d’éleveurs dans les écoles, sans ces paysages qui sont la base de l’activité touristique, sans les commerces de proximité et l’ensemble des activités économiques qui dépendent de l’élevage ?
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« Nos éleveurs sont en danger et nous avons, en tant que responsables politiques, le devoir de les protéger, pour eux-mêmes, leurs familles et pour notre pays.  C’est la raison pour laquelle nous lançons aujourd’hui cet appel. » Loïc Kervran, député du Cher et Jean-Bernard Sempastous, député des Hautes-Pyrénées.